METHODOLOGIE DE L'ÉTUDE DE TEXTE

LA  MÉTHODE DE LA DISSERTATION SUR TEXTE
           Le but de ce blog est de fournir aux candidats du baccalauréat les moyens de s'initier à la philosophie et de se préparer à l'épreuve de philosophie du baccalauréat. Cette épreuve est constituée de trois sujets au choix, deux sujets sous forme de question invitant à produire une dissertation philosophique et un texte philosophique invitant à une étude et à un débat. Le principe de la méthode suivie tout au cours de ce blog est celui de l'apprentissage. Que le travail soit manuel ou intellectuel, il s'agit pour l'apprenti dans un premier temps de regarder et d'observer les pratiques du maître, puis après de s'exercer en utilisant les outils et en reproduisant les gestes du maître. Ainsi si nous voulons apprendre à penser par nous-mêmes, nous devons fréquenter les maîtres, les grands philosophes et pénétrer en douce dans leurs ateliers pour voir par dessus leurs épaules comment ils procèdent et, par imitation, retenir des outils, des démarches et des tours de main. Cela revient à dire que notre démarche première consistera à lire les grands auteurs dans le but final de nourrir et d'exercer notre propre pensée en produisant des dissertations philosophiques. La première méthode exposée sera celle de la dissertation sur texte. Elle le sera dans ses démarches successives accompagnées d'exemples et d'exercices pour une meilleure compréhension.

1 COMMENT LIRE UN TEXTE PHILOSOPHIQUE? le Travail de lecture
    La formule qui accompagne le sujet texte de l'épreuve de philosophie du baccalauréat est la suivante : « Expliquez le texte suivant d'EPICTETE. La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. Il faut et il suffit que l'explication rende compte, par la compréhension précise du texte du problème dont il est question. » Les buts de cette épreuve sont d'identifier la question problématique à laquelle répond l'auteur, la ou les réponses qu'il fournit et d'en rendre compte, c-à-d. d'en discuter. Pour atteindre ces buts, il faut pratiquer l'ensemble des démarches par lesquelles d'une part on lit le texte, d'autre part on parvient à le comprendre exactement et entièrement, et enfin, étant parvenu à le comprendre, on se propose de l'expliquer aux autres. 
        De là les trois démarches de l'étude de texte philosophique:

        La démarche par laquelle le lecteur parvient à l'intelligence du texte en remontant des signes et de leur agencement à la pensée de l'auteur. C'est le travail de lecture : T L
        La démarche par laquelle, grâce à ses connaissances et lectures approfondies, le lecteur saisit la pensée de l'auteur, l'esprit à travers la lettre : c'est le travail de compréhension. T C

        Enfin la démarche par laquelle le lecteur entreprend de transmettre sa compréhension du texte en traduisant sa pensée en signes : c'est le travail d'écriture T E.
Attention : les deux premières démarches,le travail de lecture et le travail de compréhension constituent le travail préparatoire, au brouillon. Ne figurera sur la copie que ce qui relève du travail d'écriture.

11)L'inventaire des champs lexicaux
        Expliquer un texte est montrer son sens : c'est un travail d'élucidation, par lequel on doit rendre plus claire la pensée de l'auteur. Il faut aller de l'explicite à l'implicite, de la lettre à l'esprit, du mot à la pensée, des structures visibles du texte à la structure dynamique, structure de sens. La règle d
'or n° 1 est la fidélité au sens du texte. Cet objectif est atteint par plusieurs moyens :
La lecture du fond :

        C'est l'inventaire des champs lexicaux. Le champs lexical est l'ensemble des mots qui renvoient à un même thème; Ainsi un texte traitant du droit pourra comporter les termes de justice, de légal ou d'arbitraire. Cela permet de saisir les idées. Le sens provient en partie des mots qui expriment des idées : nom (cause, intuition...) verbes (raisonner, juger, examiner) des adjectifs (moral, scientifique...) des adverbes.

La lecture de la forme :

        La lecture de la forme (Structure grammaticale, syntaxe, conjonctions, ponctuation...) est l'examen attentif des mots qui expriment des connexions logiques, des liaisons. Ces instruments de liaison permettent de déterminer la structure du texte, les articulations logiques, le raisonnement. Le sens provient aussi de l'organisation des phrases successives, et de la fonction grammaticale de chacune. Il faut relever les «embrayeurs grammaticaux» qui marquent le rôle de la proposition. Par exemple : mais (opposition) ; or (objection) ; donc (conclusion) ; car (explication) ;d'une part, d'autre part, d'un côté, etc., qui manifestent une partition. Il faut mettre à jour la structure grammaticale et par-là logique de la démonstration. Si la lecture de la forme ne demande qu'une connaissance de la langue, la lecture du fond demande plus de subtilité, des connaissances des auteurs, des problèmes, du contexte culturel. ATTENTION : les deux premières démarches, le travail de lecture et le travail de compréhension constituent le travail préparatoire, au brouillon. Ne figurera sur la copie que ce qui relève du travail d'écriture.
PARTONS d'un premier texte d'Epictète, qui nous servira d'exemple et qui nous permettra de saisir ce qu'est commencer à philosopher :
        « Le commencement de la philosophie, c'est le sentiment de conflit des hommes entre eux ; on cherche d'où vient le conflit ; on juge avec méfiance la pure et simple opinion ; l'on examine si cette opinion est juste, et l'on découvre une règle comme on a découvert la balance pour les poids et le cordeau pour les lignes droites et courbes. Voilà le début de la philosophie. Toutes les opinions sont-elles justes ? Comment pourraient-elles l'être si elles se contredisent ? - Toutes ne sont donc pas justes, mais du moins celles qui sont les nôtres. - Et pourquoi celles-ci plutôt que celles des Syriens ou Egyptiens ? Pourquoi les miennes plutôt que celles de tel ou tel ?- Pas plus les unes que les autres. - Il ne suffit donc pas qu'une chose paraisse vraie pour qu'elle le soit ; quand il s'agit de poids et de mesures, la simple apparence ne suffit pas, et nous avons inventé une règle pour chaque cas. Ici donc, n'y a-t-il pas une règle supérieure à l'opinion ? Comment ce qu'il y a de plus nécessaire chez les hommes pourrait-il être impossible à deviner et à découvrir ? - Il y a donc une règle. - Et pourquoi ne la cherchons nous pas, ne la découvrons nous pas, et, l'ayant découverte, ne l'employons nous pas sans la transgresser jamais, fût-ce pour tendre le doigt ? »
        Nous allons ici pour l'exemple nous contenter de réécrire seulement les deux premières phrases du texte qui constituent une unité de sens formant ce qu'on appellerait une première étape. Voici ce que donnerait cette réécriture. Placé au milieu de la page, en lettres rouges la notion principale, puis en différentes couleurs les champs lexicaux organisés dans l'espace de telle manière que la réécriture du texte permet de visualiser la structure de sens. En rouge, la réaction affective, en bleu, situé en dessous par lien et opposition, les activités intellectuelles (chercher, juger, examiner, découvrir). En jaune, ce qui déclenche réaction et activités, le conflit d'opinion entre les hommes, enfin en vert le champ lexical de la norme représenté par le juste, la règle et de manière symbolique la balance et le cordeau. Cet exercice a pour but de former des associations d'idées à travers ces champs lexicaux pour enrichir le vocabulaire et favoriser la mémorisation pour permettre ultérieurement la recherche des idées dans la dissertation, recherche facilitée par la fluidité verbale.
                                            commencement
                                                 philosophie,
                                                     c'est

sentiment                                        conflit des hommes entre eux                  ;
on cherche d'où vient                     conflit                                                                    ;
on juge méfiance                                       pure opinion                                  ;
                                                                  et simple
on examine si                                           opinion est juste                             ,
et on découvre                                                           règle
comme on a découvert                           pour poids  balance
                                                               pour lignes cordeau .
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Voilà le début .
philosophie
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BIEN SÛR, cette démarche est à mener pour l'ensemble du texte, nous en resterons là pour l'exemple.

12) la recherche du sens
121) Les associations, distinctions et oppositions notionnelles

        La pensée procède par assimilation et par différences. Les mots appartiennent à des réseaux qui, parce qu'ils font partie d'une constellation mentale, excèdent les limites d'un texte, d'où la nécessité de reconnaître ces réseaux d'idées pour mieux identifier ce qui est implicite dans un texte et surtout pour avoir l'esprit critique en éveil. Il faut apprendre à discerner les présupposés, le non dit du texte que l'auteur n'explicite pas, mais qui organisent le texte en profondeur. Ces associations et oppositions notionnelles sont soit évidentes, inscrites dans la langue,( le juste, l'injuste; le bien, le mal) soit fixées par les philosophes, donc à repérer et à apprendre en abordant textes et notions. (Les repères figurant dans le nouveau programme explicitent certaines de ces associations)
notions associées, distinguées, opposées
        Une approche simple en philosophie consiste à chercher les oppositions. Tout philosophe construit son système autour d'une opposition, mais il n'est pas besoin d'être philosophe pour bâtir sa vie autour de notions associées ou opposées. Nous le faisons tous. Vous devez dresser votre propre liste des contrastes, liste qui vous sera utile pour comparer votre façon de voir les choses à celle des philosophes. Ceux-ci en effet voient parfois des contrastes là où nous voyons des associations et inversement des associations là où nous saisissons des contrastes. L'intérêt est d'essayer de comprendre comment l'autre, le philosophe, arrive à de telles visions. Il s'agit en effet pour l'élève de terminale de se mettre dans la peau de cet être bizarre qu'est le philosophe et d'essayer de le comprendre pour, peut être, saisir une nouvelle perspective de la vie.
122) Les valorisations
        Les mots ont une charge émotive intense, dont on identifie mal la provenance. A se laisser porter par l'émotion, on sombre dans le parti - pris. Ces mots, tenus pour des évidences, des faits, ne sont alors bien trop souvent que des images reflétant le caractère, l'attrait ou la peur de l'individu voire les valeurs de la société. On distingue quatre sortes de mots :
1.mots neutres de la langue française : opinion(=), juger(=), tradition(=) le terme est neutre si précisément il faut lui ajouter adverbe ou adjectif valorisé. Exemple : une bonne ou une mauvaise opinion, une bonne ou une mauvaise tradition; juger en bien, juger en mal. (À noter qu'en me fondant sur une expérience d'enseignement de la philosophie de plus de trente cinq ans, les élèves spontanément connotent négativement juger et tradition)
2.mots valorisés : soit positivement (bien, meilleur ) soit négativement (ennemi, méfiance, asservissement...)
3.mots neutres contaminés : juger avec méfiance : Le terme de méfiance, péjoratif (-) vient contaminer le terme neutre juger (=). la pure et simple opinion: le terme de pur, mélioratif vient contaminer le terme neutre opinion. L'expression « juger avec méfiance la pure et simple opinion » est connotée négativement compte tenu de la syntaxe, ce sont les valorisations du verbe qui l'emportent sur celles du complément d'objet. Cette démarche permet de mettre en évidence l'attitude paradoxale du philosophe, son doute exagéré, puisqu'il se méfie même d'une opinion en apparence pure et simple.(Dans la pratique de la lecture, pour opérer la recherche des valorisations, il suffit de placer des petits + ou - sur les termes valorisés et par des liens au dessus des mots on indique la valorisation des mots contaminés.) Cet outil des valorisations, fruit d'une élaboration personnelle est extrêmement important pour saisir l'idéologie d'un texte, d'une publicité, d'une propagande, d'un film, voire de la personne qui vous parle.
4.les mots que chacun de nous valorise, soit parce que nous avons connu des événements heureux ou malheureux qui font qu'inconsciemment nous valorisons en positif ou en négatif les mots qui renvoient à tel ou tel événement (cf la démarche de Carl Gustave Jung), soit que la tonalité du mot nous ait été transmises par les préjugés de l'opinion et la force du conditionnement social.
        Or si nous voulons lire objectivement un texte de philosophie (ou n'importe quel texte) nous ne devons pas projeter notre affectivité sur le texte, nous devons lire le texte de l'auteur, non notre propre texte. Nous devons nous méfier de nous-mêmes et nous surveiller. Il faut que notre esprit contrôle nos yeux, et que nos yeux contrôlent notre esprit. Il nous faut réfléchir intellectuellement aux idées exprimées et non réagir affectivement aux mots. Il faut admettre que nos projections inconscientes modifient notre vision, que nous projetons inconsciemment sur la nature, sur la société, sur les autres, voire sur un texte, des images très irrationnelles car elles n'ont pas de rapport avec la réalité actuelle. Les sujets de réflexion déclenchent de fortes réactions d'ordre affectif car nous réagissons avec émotion aux valeurs.
        Pour que les émotions soient clarifiées et dominées, il faut les amener à la surface. Sans cette phase de clarification, je pourrais exprimer mon émotion par des moyens détournés. Une fois que l'émotion est exprimée, le penseur est plus libre vis à vis d'elle, ce qui a l'avantage de le ramener à plus d'objectivité 123) Le discours contradictoire implicite
        Le texte philosophique est un texte argumentatif, où l'auteur affirme, prend position, Penser par opposition permet de clarifier la thèse de l'auteur et de déterminer la thèse adverse. Il faut passer de l'implicite à l'explicite, tourner sous forme affirmative ce qui est négation et réciproquement : Si je dis ceci, je ne dis pas cela, mais c'est sous-entendu.
Je me servirai ici de cet autre texte d'Epictète plus propice à illustrer mon propos :
« Quand on ignore qui on est, pourquoi on est né, dans quel monde et avec quels compagnons on vit, ce qu'est le bien et le mal, le beau et le laid, quand on ne connaît rien à la démonstration ni au raisonnement ni à la nature du vrai et du faux, quand, incapable de les distinguer, on ne se conforme à la nature ni dans ses désirs, ni dans ses aversions, ni dans sa volonté, ni dans ses intentions, ni dans ses assentiments, ses négations ou ses doutes, on tourne de tout côté comme un sourd et un aveugle, on croît être un homme et l'on n'est personne. Depuis que la race humaine existe, toutes nos fautes, tous nos malheurs ne sont-ils pas nés d'une pareille ignorance ? »

        Texte écrit, dit, explicite   Texte non écrit, non dit, contradictoire, implicite
       
                AFFIRMATION                       NEGATION                  AFFIRMATION
            on se contente d'ajouter ne...pas     on remplace par un concept opposé
 
quand on ignore qui on est
quand on n'ignore pas... quand on sait qui on est
               NEGATION                     AFFIRMATION    
   quand on ne connaît rien à la démonstration
 quand on connaît tout à la démonstration
        on tourne de tout côté
 on ne tourne pas de tout côté
 on sait où on va, on est orienté
      on est sourd et aveugle    on n'est pas sourd, ni aveugle on est attentif, claivoyant, lucide



        Il est possible de construire un tableau résumant ce travail de recherche du sens. On comprend que tout en dessinant en clair le portrait des ignorants, le philosophe Epictète trace en creux celui des sages, des philosophes.

Résumons :

Grâce à des techniques et des outils qui modifient le moins possible le texte, nous avons déjà une connaissance suffisante et rigoureuse de son contenu, des idées, valeurs et positions de l'auteur.

2 COMMENT COMPRENDRE UN TEXTE PHILOSOPHIQUE? travail de compréhension
        Dans tout texte philosophique proposé à l'examen, il y a une part d'inconnu et une part de connu. La part d'inconnu sera soit l'auteur, soit le contenu du texte. Même un professeur de philosophie expérimenté ne peut connaître tous les textes de tous les philosophes même limités aux seuls auteurs du programme, il n'y a que vingt-quatre heures dans une journée et les philosophes ont écrit des milliers de pages et très malheureusement une vie consacrée à la philosophie ne suffit pas à cette lecture! D'ailleurs les directives concernant l'examen ont imposé aux professeurs proposant les textes des épreuves de choisir des textes non utilisés dans les anthologies. C'est ce qui explique ce passage du libellé de l'épreuve : « La connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise. » Un candidat ne peut être pénalisé s'il ne connaît pas tel ou tel auteur. Les connaissances, si elles sont bien exploitées et présentées donnent des points supplémentaires, mais le défaut de connaissance n'en retire point; (le défaut de connaissances, non les connaissances erronées!)
        Mais il y a aussi dans tout texte philosophique une part de connu : c'est le philosopher, c'est-à-dire les démarches spécifiques du philosophe et ce sont ces démarches que nous devons apprendre à reconnaître d'abord pour comprendre le texte, ensuite pour nous mêmes écrire un texte philosophique par nos dissertations. Redisons le : c'est en analysant les démarches des maîtres dans leurs textes philosophiques, puis en les imitant que nous saurons produire des dissertations. Pour comprendre le fonctionnement d'un texte philosophique, il s'agit de repérer comment l'auteur s'y prend pour organiser ses idées et faire progresser sa pensée.

21) l'objectif du texte

       L'auteur s'adresse à l'intelligence et non à l'affectivité, il utilise une démarche suivie, argumentée d'où la reconnaissance de l'objectif permet de connaître dans les grandes lignes la démarche du philosophe parce qu'elle est logique. Pour lire un texte philosophiquement, nous devons nous poser des questions sur la manière dont l'auteur organise sa pensée, la déploie dans sa stratégie pour atteindre son objectif. Que veut faire le philosophe ? Quel est le but de sa démarche ? Pour expliquer une phrase, il faudra la replacer dans cette démarche d'ensemble, montrer son rôle dans l'argumentation, car les idées ne sont pas toutes au même niveau, et n'ont pas la même fonction. Pour le moment, ne retenons que cinq objectifs. Nous apprendrons à les reconnaître à partir d'exercices, et à enrichir progressivement cette liste.
Objectifs : établir une thèse, réfuter une thèse, corriger une opinion, juger de ce qui doit être, élucider un problème ou soulever une difficulté.

22)Les démarches d'exposition : l'idée générale ou centrale, la thèse

ATTENTION, ne confondons pas le thème et la thèse.
    le thème, la partie du programme sur laquelle porte le texte proposé.(ex : la vérité, la justice, la société...)Le thème peut être évoqué par un nom, la ou les notions en jeu. De quoi parle le texte ? Un mot résume le thème.
   et la thèse, c'est-à-dire la pensée de l'auteur sur ce thème. La thèse est toujours un jugement qu'on peut exprimer sous sa forme logique : «S est P» S désigne le sujet, « est» est ce qu'on nomme en logique la copule, ce qui lie deux termes et P est ce qu'on nomme le prédicat, c'-à-d l'attribut en grammaire française.
Pour exposer ses idées, le philosophe peut utiliser deux démarches, la première, la plus simple, une démarche directe ou déductive (que nous identifierons par le sigle DD) La thèse est donnée dès la première phrase. On reconnaît cette démarche synthétique parce que
1 on peut, dans les grandes lignes, déduire la suite des opérations logiques du philosophe.
2 il y a une continuité du champ lexical entre la première phrase et les suivantes.
3 toutes les autres phrases du texte ne sont que l'explication et la justification de cette première idée.
La seconde démarche est la démarche indirecte ou inductive (que nous identifierons par le sigle DI). On reconnaît cette démarche analytique parce que
1 on ne peut, dans les grandes lignes, déduire la suite des opérations logiques du philosophe. Chaque phrase peut apporter quelque chose de nouveau.
2 il y a une discontinuité du champ lexical entre la première phrase et les suivantes. En général, le champ lexical de la deuxième phrase est différent de celui de la première et la troisième phrase regroupe le champ lexical de la première et celui de la seconde d'où la formule : « champ lexical 1 + champ lexical 2= champ lexical 3 »

3 Les autres phrases du texte apportent des idées nouvelles.

        Il est donc plus difficile dans le cadre d'une démarche indirecte de trouver la thèse, car soit elle se trouve dans la troisième phrase si nous avons de façon explicite les termes OR et Donc introduisant la deuxième et la troisième phrase. Mais la phrase quatre et les suivantes peuvent amener des idées nouvelles témoignant que l'auteur ne souhaite pas s'arrêter à la conclusion centrale. La thèse peut alors se situer en position finale dans la dernière phrase. Donnons des exemples de ces deux démarches.

Démarche Déductive

« Les choses de la nature n'existent qu'immédiatement et d'une seule façon, tandis que l'homme, parce qu'il est esprit, a une double existence ; il existe d'une part au même titre que les choses de la nature, mais d'autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n'est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi. Cette conscience de soi, l'homme l'acquiert de deux manières: Primo, théoriquement, parce qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du coeur humain et d'une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu'il tire de son propre fond que dans les données qu'il reçoit de l'extérieur. Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L'homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant ; le petit garçon qui jette des pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une oeuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité. » HEGEL, Esthétique.

    Le texte de HEGEL est un exemple de texte à démarche déductive : la première phrase du texte constitue la thèse, tout le reste en étant l'explication et la justification. La thèse de HEGEL est une réponse à une question essentielle que se posent les philosophes : « Qu'est-ce que l'homme ? » HEGEL répond qu'à la différence des autres choses de la nature, l'homme a une double existence . D'une part, il est dans le monde chose parmi les choses, d'autre part il est pour soi, entendons par là conscience de soi.
        Le raisonnement se décompose ainsi : après avoir posé sa thèse, HEGEL explique quelles sont les deux façons de prendre conscience de soi, de découvrir ce que l'on est et à chaque fois, il argumente ses affirmations. Il insiste surtout sur la seconde façon, l'activité pratique, en expliquant comment et pourquoi l'homme agit ainsi. Il illustre par l'exemple de l'enfant qui aime à admirer ce dont il est l'auteur, aussi élémentaire que soit son oeuvre.
Démarche Inductive

        «A la liberté de penser s'oppose, en premier lieu, la contrainte civile.1 On dit, il est vrai, que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôtée par une puissance supérieure, mais non pas la liberté de penser. Mais penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ? Aussi l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées leur ôte également la liberté de penser - l'unique trésor qui nous reste encore en dépit de toutes les charges civiles (1) et qui peut seul apporter un remède à tous les maux qui s'attachent à cette condition.» KANT.
        Le texte de KANT est un exemple de texte à démarche inductive. Sa thèse est la suivante : le pouvoir civil qui interdit la liberté d'expression s'attaque aussi à la liberté de pensée qui est essentielle à l'indépendance du citoyen.

        Comment KANT procède-t-il ? Il part d'une constatation : le pouvoir peut entraver la liberté de penser. Aussitôt il introduit une opinion contraire soutenant que le pouvoir ne pourrait limiter que la seule liberté d'expression. Mais KANT problèmatise ce on-dit, il le remet en cause par une question qui amène à réfléchir sur la nécessité de communiquer pour préciser et enrichir sa pensée. Il conclut par sa thèse en affirmant que priver le citoyen de liberté d'expression est, contrairement à la croyance commune, aussi une atteinte à sa liberté de penser, fondement de son indépendance. On pourrait présenter ainsi son raisonnement :On croit que le pouvoir ne peut priver le citoyen que de sa seule liberté d'expression. Or en réalité cette liberté est nécessaire à notre pensée. Donc, en conséquence nous priver de l'une, c'est atteindre l'autre.

23) La structure du texte

        Le texte philosophique est un texte argumentatif où tout se tient et s'enchaîne. Un exercice à faire pour développer sa compréhension des textes est de raisonner à partir de la première phrase et des suivanteen utilisant le geste mental  SI...C'EST DONC QUE...
But : Il s'agit de saisir la progression de la pensée en dégageant le plan du texte, en le découpant selon ses mouvements propres, pour mettre en évidence les articulations entre chacun d'entre eux. Il nous faut démonter le texte, puis le remonter, pour comprendre comment il progresse vers une solution. Pour ce faire, nous devons être attentifs aux connecteurs logiques, tels que donc, or, parce que... Nous devons nous demander ce qui explique la progression d'une idée à une autre, d'un mouvement à un autre .
            A partir de la disposition typographique, en analysant les connexions logiques, en connaissant l'objectif, il faut repérer les mouvements du texte et dégager le plan, l'organisation et la progression des idées, la stratégie argumentaire du philosophe : que veut-il faire ? Il faut démonter comment le philosophe procède pour nous convaincre que ce qu'il dit est vrai. Chaque texte est une démonstration, il faut alors identifier chacun des arguments qui construisent cette démonstration, et démonter comment ils contribuent à l'expression de la thèse.
        Comment procéder ? D'abord il faut séparer le texte en ses différentes phrases, puis, pour chaque phrase, identifier la démarche du philosophe : que fait-il? Une hypothèse ou une constatation? Donne-t-il un argument ou soulève-t-il une objection? Donne-t-il un exemple ou pose-t-il une restriction ? A travers des textes étudiés, nous apprendrons à reconnaître ces différentes démarches et nous pourrons alors suivre chacun des gestes mentaux du philosophe.
            Enfin selon que le philosophe a pour objectif de critiquer une opinion, de réfuter une thèse, de résoudre un problème, la structure du texte sera différente. (comme nous le montrerons sous forme de tableau). Comment exprimer ces relations logiques ? Vous devez alors utiliser le vocabulaire technique des démarches intellectuelles ou philosophiques : le philosophe expose sa thèse, il fournit un argument, il illustre par un exemple, il recherche la cause, il élabore un concept, il entreprend un travail de définition, il énumère les attributs distinctifs, il fait un jugement de valeur. En marge, on spécifie le rôle logique de chaque partie (énoncé, justification...), et on résume son contenu. C'est un travail à faire au brouillon qu'il faudra exposer dans l'introduction. Ce sera la colonne vertébrale de tout votre développement.

24) La lecture approfondie
241) richesse, précision et finesse de la lecture

            Vous devez expliquer le texte. Expliquer vient du latin ex-plicare, c'est-à-dire déplier ce qui a d'abord été plié. Or pour bien comprendre le travail à opérer, il faut prendre en compte un principe, le principe de déperdition de l'information, comme le montre le jeu du téléphone arabe où une phrase murmurée dans une oreille se trouve déformée en fin de chaîne en passant successivement de bouche à oreilles. Les correcteurs le constatent : on donne aux élèves un texte clair, précis, profond, comportant distinctions et richesse de sens et on ne trouve souvent dans les copies explicatives que confusion et banalité, opinion et évidence triviale, simplification et pauvreté. Il y a une perte de sens, des bruits et des parasites de toute sorte. Le texte se réduit au lieu de se dilater. Or expliquer un texte, c'est au contraire l'amplifier, le développer, être une caisse de résonance. Pour faire comprendre cela à mes élèves, je prenais l'image suivante tirée d'un conte. Le héros était chargé d'une mission a priori impossible : ramener un drap de dix mètres de long et de cinq de large, mais si fin qu'il pouvait tenir plié dans une coque de noix. Le texte philosophique est la coque de noix et l'élève, celui qui, par son explication, va ouvrir cette coque et dérouler le sens contenu renfermé en ex-pliquant, en dé-pliant ce que renferme le texte. Trop souvent les élèves font un résumé, lorsque ce n'est pas de la banale paraphrase. Il y a pourtant beaucoup à dire. Nous devons éclairer le raisonnement dont la phrase est tirée, rendre explicite l'implicite, dire clairement ce qui est sous-entendu, de façon à rendre compréhensible le texte à n'importe quel lecteur. Partant des mots, nous devons énoncer la réalité à laquelle ils renvoient, clarifier la difficulté d'un raisonnement, élucider la complexité des idées. Il faut se méfier de ce qui est évident. Ce qui paraît évident ne donne apparemment pas lieu à expliquer et les textes les plus difficiles à expliquer sont paradoxalement ceux qui paraissent les plus limpides aux yeux des élèves parce qu'ils ne voient pas ce qu'ils pourraient ajouter au discours du philosophe.
        La lecture doit aussi être précise et objective: il ne faut pas forcer le texte par des interprétations tendancieuses pour lui faire dire ce que nous avons choisi de lui faire dire. Une censure implacable escamote systématiquement dans notre lecture ce qui est de nature à infirmer nos convictions, à choquer nos préférences. (Un cours sur l'inconscient en sera la démonstration) Le correcteur constate souvent qu'un mot décisif n'a pas été lu. J'ai des exemples en nombre intéressant qui dévoilent la psychologie du groupe d'adolescents. Pour rester vigilants, demandons nous ce qui fait que notre lecture sera précise C'est l'attention toute particulière que nous porterons aux adjectifs, aux adverbes,(Lorsqu'on explique cela aux élèves, ils ne nous croient pas et se disent meilleurs que les précédents élèves, mais j'avais dans mon attirail de textes un texte de Descartes qu'on ne pouvait comprendre dans sa précision que si on lisait attentivement les adverbes et chaque fois que je le donnais en devoir, cela ne manquait pas et les contresens pleuvaient faute d'une lecture précise des adverbes!)C'est aussi l'attention portée à ces mots insignifiants parce que passe-partout que sont les pronoms, c'est la prise en compte des distinctions opérées par le philosophe avec la préposition et.
        Enfin pour parvenir à la finesse de la lecture, il faut être attentif aux tournures de phrases peu fréquentes, aux doubles négations, aux expressions qui ressemblent à des mots connus. Donnons quelques exemples des erreurs rencontrées. La phrase de KANT «À la liberté de pensée s'oppose la contrainte civile...» devient dans l'explication des élèves «la liberté de pensée s'oppose à la contrainte civile... ». Simple changement de sujet direz vous, de toute façon il y a opposition.Mais le texte n'a pas le même sens. Il s'agit de savoir qui est actif et qui est passif : l'État ou le citoyen? Deux causes peuvent expliquer cette erreur de lecture: d'une part les élèves sont habitués à un français basique sujet+verbe+complément et du fait de l'habitude, ils ne remarquent pas cette écriture complément+verbe+sujet. D'autre part, il est plus glorieux de se voir comme le citoyen résistant s'opposant à un pouvoir dictatorial de censure plutôt que le citoyen contraint dans sa liberté d'expression. Cela correspond mieux aux images des adolescents, mais non à la réalité historique vécue par Kant aux prises avec la censure prussienne. Autre exemple tiré du même texte, Kant écrit : « penserions-nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres...» Or pour certains élèves, commettant là un superbe contresens, pensée en commun devient l'équivalent de pensée commune! Je terminerai par un dernier exemple tiré d'un texte de Spinoza qui écrit : « ce n'est pas absolument vrai ». Ignorant l'importance de la place de l'adverbe, l'élève lit : "ce n'est absolument pas vrai » faisant dire à Spinoza que c'est totalement faux, alors qu'il reconnaissait une part de vérité dans l'opinion qu'il appréciait ainsi.
242) Le bilan

                A la fin de la lecture de chaque phrase, il faut faire le bilan des renseignements à transmettre en les numérotant par ordre d'exposition. Il faut dégager la démarche et les idées ( en étant attentif aux valorisations, aux points de discussion (chaque fois que l'auteur affirme on peut le contredire), au non dit ( on utilise le geste mental : SI JE DIS CECI, JE SOUS ENTENDS CELA), aux implications ( on utilise le geste mental : SI ...ALORS). Nous donnerons des exemples de tout ce travail pour favoriser une meilleure compréhension.




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